Le dernier rapport d’Anthropic, publié le 15 septembre 2025, révèle une adoption profondément inégale de l’IA à travers le monde, avec des disparités marquées selon les revenus, les régions et les secteurs d’activité. Alors que les pays riches et les économies locales spécialisées tirent parti de Claude pour diversifier leurs usages, les zones moins favorisées restent cantonnées à des tâches basiques, risquant d’aggraver les fractures économiques. L’étude, basée sur des données concrètes d’utilisation, souligne aussi un basculement vers l’automatisation directive, surtout chez les entreprises, tandis que les particuliers privilégient encore la collaboration avec l’IA.
À retenir
- L’adoption de Claude est 7 fois plus élevée qu’attendu en Israël (AUI de 7), contre 4,57 à Singapour et 3,73 en Corée du Sud. Les États-Unis, bien que leaders en volume (21,6% de l’usage mondial), ne se classent qu’en 6ᵉ position par habitant.
- 1% de PIB par habitant en plus correspond à 0,7% d’usage accru de l’IA (AUI), avec un effet encore plus marqué aux États-Unis (+1,8%). Les économies locales expliquent aussi ces variations : le District de Columbia domine pour l’édition de documents, la Californie pour le codage.
- L’automatisation directive (39% des conversations) a progressé de 12 points depuis décembre 2024, dépassant pour la première fois l’augmentation collaborative (47%). Les entreprises, via les API, automatisent 77% de leurs tâches contre 50% pour les particuliers.
- Les tâches éducatives (+40%) et scientifiques (+33%) gagnent du terrain, tandis que la gestion et les opérations commerciales reculent. Le développement logiciel reste cependant l’usage dominant (37-40% des conversations).
- Les inégalités risquent de s’aggraver sans politiques ciblées : littératie numérique, infrastructures et accès équitable sont identifiés comme des leviers par Anthropic pour éviter une divergence économique accrue.
Des disparités géographiques qui reflètent les fractures économiques
L’Anthropic AI Usage Index (AUI), indicateur clé du rapport, mesure l’usage de Claude par rapport à la population active de chaque pays. Les résultats confirment une corrélation directe entre richesse et adoption de l’IA, avec des implications majeures pour les politiques publiques et la compétitivité des territoires.
Un classement mondial dominé par les petites économies avancées
Israël caracole en tête avec un AUI de 7, soit une utilisation sept fois supérieure à ce que sa population active laisserait présager. Singapour (4,57), l’Australie (4,10) et la Nouvelle-Zélande (4,05) complètent le top 4, devant la Corée du Sud (3,73) et les États-Unis (6ᵉ, AUI non précisé). Ces pays partagent des caractéristiques communes : un PIB par habitant élevé, une connectivité internet robuste et une main-d’œuvre fortement qualifiée dans les secteurs du savoir.
À l’inverse, les grandes économies émergentes comme l’Inde ou le Brésil, bien que représentant un volume d’usage significatif (2ᵉ et 3ᵉ pays utilisateurs de Claude), affichent des AUI bien inférieurs à 1. Leur adoption reste limitée par des freins structurels : infrastructures numériques inégales, pénurie de compétences techniques et concentration des usages sur des tâches basiques (codage, calculs).
Aux États-Unis, des dynamiques locales liées aux spécialisations économiques
L’analyse état par état révèle des écarts d’usage jusqu’à 4 fois supérieurs selon les territoires. Le District de Columbia (AUI de 3,82) se distingue par une utilisation intensive pour l’édition de documents gouvernementaux et la recherche d’informations juridiques. La Californie (3ᵉ) et New York (4ᵉ) exploitent Claude respectivement pour le développement logiciel et les tâches financières, reflétant leurs écosystèmes technologiques et bancaires.
Des cas atypiques émergent : Hawaï surutilise l’IA pour des tâches liées au tourisme (réservations, recommandations), tandis que l’Utah (2ᵉ AUI national) affiche une proportion anormalement élevée d’usages suspects (indicateurs d’abus coordonnés), sans que cela ne remette en cause la tendance globale. Ces variations soulignent l’impact des secteurs dominants sur les modes d’adoption.
PIB et usage de l’IA : un cercle vicieux à briser
Le rapport établit une relation statistique forte : une hausse de 1% du PIB par habitant se traduit par une augmentation de 0,7% de l’AUI au niveau mondial, et de 1,8% aux États-Unis. Cette corrélation suggère que les pays riches s’enrichissent davantage grâce à l’IA, tandis que les autres peinent à en tirer parti. Les technologies à usage général ont historiquement creusé les écarts de niveau de vie, et l’IA pourrait amplifier ce phénomène sans interventions ciblées
, souligne le document.
Pour Anthropic, cette tendance appelle à des mesures urgentes :
- Amélioration de la littératie numérique dans les pays en développement.
- Investissements dans les infrastructures haut débit et les centres de données locaux.
- Subventions pour l’accès aux outils d’IA par les PME et les travailleurs indépendants.
Automatisation vs augmentation : un clivage entre entreprises et particuliers
Le rapport révèle un changement de paradigme dans l’interaction avec l’IA : l’automatisation directive, où l’utilisateur intervient minimalement, représente désormais 49,1% des conversations contre 47% pour l’augmentation collaborative. Cette évolution, accélérée par les progrès des modèles comme Claude Sonnet 3.6 (sorti en décembre 2024), diffère radicalement selon que l’on est une entreprise ou un consommateur.
Les entreprises misent sur l’autonomie de l’IA
Les données des clients API (entreprises et développeurs) montrent une préférence marquée pour l’automatisation :
- 77% des conversations sont directives (contre 12% d’augmentation).
- 44% des requêtes concernent le codage ou les mathématiques (vs 36% sur Claude.ai).
- Seulement 4% des usages sont éducatifs (contre 12% pour les particuliers).
Cette tendance s’explique par la recherche de gains de productivité : les entreprises confient à Claude des tâches répétitives (génération de code, traitement de données) avec un niveau de confiance élevé. Plus le coût en jetons est important, plus la tâche est fréquente
, note le rapport, suggérant que la valeur économique perçue dépasse le prix.
Les particuliers privilégient encore la collaboration
À l’inverse, sur Claude.ai (version grand public), l’augmentation (collaboration homme-IA) reste majoritaire dans les pays à fort AUI. Par exemple :
- En Israël ou à Singapour, les usages éducatifs et créatifs (art, design) représentent jusqu’à 20% des conversations.
- Les tâches administratives ou scientifiques progressent (+40% pour l’éducation, +33% pour les sciences depuis décembre 2024).
- Le codage, bien que dominant (37-40%), recule au profit de domaines à plus forte valeur ajoutée cognitive.
Cette divergence s’explique par le niveau de maîtrise des utilisateurs : dans les pays où Claude est peu adopté, l’IA sert surtout à remplacer des compétences manquantes (automatisation de tâches simples), tandis que les utilisateurs avancés l’emploient comme un partenaire d’innovation.
Un mystère persistant : pourquoi moins d’automatisation là où l’IA est plus utilisée ?
Le rapport souligne une tendance contre-intuitive : chaque augmentation de 1% de l’usage par habitant réduit la part d’automatisation de 3%. Les chercheurs d’Anthropic émettent deux hypothèses :
- Les utilisateurs expérimentés préfèrent garder le contrôle sur des tâches complexes (ex : rédaction juridique, recherche scientifique).
- L’automatisation est davantage adoptée en phase d’apprentissage (pays émergents), puis laisse place à des usages plus nuancés.
Cette question reste ouverte et fera l’objet de recherches complémentaires.

Le développement logiciel, tâche reine, mais en mutation
Bien que le codage représente 37 à 40% des conversations avec Claude, son poids relatif diminue au profit d’usages plus diversifiés. Cette évolution, observée depuis décembre 2024, reflète à la fois l’amélioration des capacités de l’IA et une transformation des besoins selon les profils d’utilisateurs.
Une domination qui s’érode chez les particuliers
| Catégorie de tâches | Décembre 2024 | Septembre 2025 | Évolution |
|---|---|---|---|
| Informatique & mathématiques | 40% | 37% | ↓ 3 points |
| Éducation & instruction | 9% | 13% | ↑ +40% |
| Sciences physiques & sociales | 6% | 8% | ↑ +33% |
| Gestion & opérations commerciales | 11% | 6% | ↓ -45% |
Ces chiffres illustrent un glissement vers des activités à plus haute valeur cognitive. Par exemple, les enseignants utilisent Claude pour personnaliser des exercices ou expliquer des concepts complexes, tandis que les chercheurs l’emploient pour analyser des jeux de données ou rédiger des revues de littérature. À l’inverse, les tâches administratives (saisie, classement) reculent, remplacées par des outils spécialisés ou automatisées via des scripts.
Les entreprises recentrent l’IA sur le cœur de métier
Chez les clients API, le développement logiciel reste prépondérant (44% des usages), mais avec des modalités différentes :
- Automatisation du debugging : Claude identifie et corrige des bugs dans des bases de code entières, réduisant les temps de test de 30% en moyenne.
- Génération de documentation technique : création automatique de manuels ou de commentaires de code, avec un taux d’acceptation par les développeurs supérieur à 85%.
- Optimisation d’algorithmes : proposition d’améliorations pour des fonctions critiques (ex : temps d’exécution, consommation mémoire).
Cependant, 5% des requêtes API sont dédiées au développement et à l’évaluation d’autres systèmes d’IA, un usage quasi inexistant chez les particuliers. Cela reflète la course à l’innovation dans les entreprises tech, où Claude sert d’outil méta pour concevoir de nouveaux modèles ou évaluer leurs performances.
Un marché du travail en recomposition
Le rapport s’appuie sur la classification O*NET (base de données américaine des métiers) pour analyser l’impact sur l’emploi. Deux dynamiques se dégagent :
- Les métiers à forte intensité cognitive (ingénieurs, analystes) intègrent l’IA comme un outil quotidien, sans suppression d’emplois mais avec une requalification des tâches (moins de codage routinier, plus de conception stratégique).
- Les métiers intermédiaires (comptables, assistants administratifs) voient certaines fonctions automatisées, mais avec un effet net limité grâce à la création de nouveaux rôles (ex : superviseurs d’IA, validateurs de sorties automatisées).
Anthropic insiste sur la nécessité de cartographier ces transformations pour adapter les formations professionnelles, notamment dans les secteurs où l’IA remplace des compétences obsolètes (ex : gestion de bases de données manuelle).

Verdict : vers une IA à deux vitesses sans action publique
Les données d’Anthropic dessinent un paysage où l’IA renforce les avantages des économies avancées, tout en offrant des opportunités de rattrapage aux territoires capables d’investir dans les compétences et les infrastructures. Le basculement vers l’automatisation directive, surtout marqué chez les entreprises, annonce des gains de productivité majeurs, mais aussi des risques de polarisation du marché du travail.
Les gagnants : pays riches et secteurs du savoir
Israël, Singapour, Australie : leur AUI élevé reflète une intégration réussie dans les processus éducatifs et créatifs, avec un effet d’entraînement sur l’innovation.
Californie et New York : leurs écosystèmes tech et financiers captent disproportionnellement la valeur générée par l’IA, via des usages spécialisés (finance quantitative, développement de produits).
Entreprises utilisatrices d’API : leur avance en automatisation leur confère un avantage compétitif durable, avec des coûts marginaux réduits pour les tâches répétitives.
Les perdants : économies émergentes et travailleurs peu qualifiés
Inde, Brésil, Indonésie : leur volume d’usage masque une concentration sur des tâches basiques (codage élémentaire, calculs), sans création de valeur ajoutée locale.
Secteurs traditionnels (manufacture, agriculture) : leur faible exposition à l’IA les prive des gains de productivité observés ailleurs.
Travailleurs sans compétences numériques : risquent d’être exclus des nouveaux emplois liés à la supervision ou à la collaboration avec l’IA.
Recommandations pour éviter un scénario de divergence
Anthropic propose un plan d’action en trois axes :
- Éducation :
- Intégrer des modules d’IA appliquée dans les cursus scolaires (ex : utilisation de Claude pour la résolution de problèmes en mathématiques ou en sciences).
- Former les travailleurs en reconversion aux outils d’augmentation (ex : rédaction assistée, analyse de données).
- Infrastructures :
- Subventionner l’accès haut débit dans les zones rurales et les pays en développement.
- Créer des centres d’accès publics à l’IA (comme les fablabs pour l’imppression 3D).
- Politiques industrielles :
- Inciter les PME à adopter l’IA via des crédits d’impôt ou des plateformes mutualisées.
- Soutenir les secteurs traditionnels (ex : tourisme, artisanat) dans l’intégration d’outils d’IA pour la personnalisation ou la logistique.
Le rapport conclut sur un appel aux décideurs : Les données montrent que l’IA peut être un moteur de convergence économique si son adoption est accompagnée. Sans cela, elle risque d’accentuer les déséquilibres existants.
Les ensembles de données publiés par Anthropic (disponibles sur leur site) offrent une base pour affiner ces stratégies.
















